Anonyme [1649], RECIT VERITABLE DES DISCOVRS tenus entre les trois Figures qui sont sur le Pont au Change, sur les affaires de ce temps. , françaisRéférence RIM : M0_3030. Cote locale : C_9_13.
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de quelque nouuelle meschanceté ; vous faictes que ce Cardinal que vous
supportez, vienne icy me caresser, m’apprendre des petits ieux, me donner
des Bijoux & autres badineries : & pensez-vous que ie sois toujours Enfant ?
& quoy que vous fassiez tout vostre possible, pour m’oster le dessein
que i’ay de cognoistre le plustost que ie pourray, ce qui se passe dans mon
Royaume, Ie vous asseure que ie voy que toutes ses actions ne sont que
fourberies, ce que ie remarque mesme dans le jeu ; & selon ce que i’entends
de tout le monde, qu’il ne fait aussi que vous tromper. Puisque tout
les desordres qui sont dans cét Estat, ne sont pas encor hors d’accommodement,
entendez y le plustost qu’il se pourra. Ie vous en prie, Madame, par
les plus tendres sentimens d’affection que vous m’ayez iamais tesmoigné.
Ie vous en coniure par tous les actes de pieté, que vous reïterez si souuent :
Faites, Madame, que ie retourne au plustost à Paris, d’où ie ne puis estre
longtemps absent, sans m’ennuyer tres-fort, tous les diuertissemens que
vous me pouuez faire prendre icy, estant trop foibles, pour m’oster la pensée
que i’ay, que l’on me desire à Paris auec impatience.

 

Ie vis bis bien que la Reyne auoit esté extremement estonnée d’entendre
ces deux derniers discours ; Car sur la fin du precedant ayant mis la main
sur son estomac pour se iustifier, lors qu’elle vit que le Roy commençoit
aussi à parler, elle demeura comme toute interdite, & resta dans cette posture,
ayant attendu quelque temps, & veu que tout estoit extremement
paisible, & dans vne grande tranquillité comme auparauant, i’aduance
pour gaigner mon logis, & i’entendis d’vne voix confuse, les vrais moyens
d’accommodement sont, de faire reuenir icy le Roy au plustost, de conuoquer
les Estats Generaux du Royaume, auec toute la liberté des suffrages,
& des deputations : Et faire cependant executer de poinct en poinct la Declaration
du mois d’Octobre dernier. Ie fis tout mon possible pour sçauoir
d’où venoit cette voix, mais ie n’en peus rien apprendre : ie m’en reuins
aussi tost chez moy, où ie mis la main à la plume, afin que tout ce que i’auois
entendu, ne m’eschappast de la memoire : i’en fis lecture deuant mes
Lacquais, qui m’asseurerent le tout contenir verité. Et auiourd’huy ie les ay
donnez pour les faire voir au public. Voyez, Amy Lecteur, quelle esperance
nous deuons auoir de l’issuë de ces affaires, puisque les choses inanimée
s’interessent pour nostre salut & prosperité. Et que la Bronze à l’vsage de
la parole, pour apprendre à nos ennemis, ce qu’ils sont obligez de faire.
Que sera-ce encore quand Monsieur le Duc de Longueuille auec vingt-trois
ou vingt-quatre mille mains, plus que Briarée viendra secourir nos
demy Dieux. Que cette esperance seule nous console, de ce que le pain est
vn peu chair, & cependant n’espargnons ny nos bourses, ny nos personnes
pour concourir auec ceux qui trauaillent à l’establissement de nostre liberté.

A PARIS,
Chez PIERRE TARGA, ruë Saint Victor au Soleil d’Or.

M. DC. XLIX.

Auec permission.



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