Anonyme [1649], LETTRE ESCRITE AV CHEVALIER DE LA VALETTE. Soubs le Nom du Peuple de Paris. Auec la responce aux placards qu’il a semez par ladite Ville. , françaisRéférence RIM : M0_2212. Cote locale : A_5_11.
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pendant la Regence en tranquillité au-dedans & au dehors, veu que nous
sçauons qu’il en a tousiours, ou conserué ou accreu les orages estrangeres & domestiques,
s’opposant mesme au traité de la Paix qui luy estoit facile, & qu’il
auoit entre ses mains ; enquoy l’on void bien en verité ce que tu auance par moquerie,
qu’il s’entend auec les Espagnols pour trahïr l’Estat & les en rendre Maistres,
& pour cela, il ne faut point qu’il soit trop habile homme & qu’il les duppe
finement, puis qu’il ne fait rien qu’à leur aduantage, accroissant leur Royaume,
& non pas le nostre (comme tu l’asseure impudemment) de quantité de villes
& de Prouinces entieres à nos despens.

 

Le Cardinal est vn cruel, vn violent, vn sanguinaire, ie ne te veux pas démentir,
nous l’auons esprouué, & si la Bastille est r’emplie depuis quinze jours
de plus d’Officiers & de seruiteurs du Roy qu’elle n’a esté de meschants & de criminels
dans les six années de la Regence, ce sont les faits de sa fureur & de sa rage,
laquelle, comme il est la source de tous ces desordres, il fait esclater jusques sur
les innocens, qui souhaiteroient de bon cœur qu’il eust esté à la place de cét italien
qui y respandit son sang pour auoir donné des aduis aux Espagnols.

Mocque toy tant qu’il te plaira, il est certain que nous nous accordons auec
toy dans ces sentimens, & n’en differons que dans les suites, tes propositions sont
aussi veritables, que les raisons que tu en donne sont ironique. Le Cardinal est
vn méchant homme, vn perturbateur du repos public, la peste & le destructeur
du Royaume, vn ambitieux, vn interessé, vn perfide, vn traistre, vn cruel & vn
sanguinaire, vn cresus & vn voleur des deniers publics, demeure en là, ne nous en
dis point les raisons que tu en donne par ironie, car elles sont mensongeres, &
la verité est trop saincte pour l’allier auec vne chose si prophane ; les nostres qui
sont & veritables & certaines sont plus dignes de sa Noblesse : Certes, ie m’estonne
quand tu as l’audace de me vouloir persuader qu’apres auoir englouty tout
l’argent de France, il n’a pas dequoy viure, sçachant neantmoins qu’il n’est pas si
liberal que d’auoir donné à personne les millions d’or qu’il a dérobez à ce Royaume ;
si sa maison est à son sentiment sur le poinct tous les iours de renuerser ;
nous le croyons bien, & nous le pretendons ainsi : mais ce sera plustost par l’authorité
vengeresse de mon Prince, que par la necessité & le deffaut de ce qu’il a
de trop, & qui s’est par redondance dégorgé jusques dans l’Italie & à la banque
de Venise, ce n’est pas vne cruauté à luy de ne point mettre au iour ses thresors
en cette occasion, ou il y va du tout pour luy, & ou il ne luy seruoit de rien de les
auoir sauuez s’il se perdoit luy mesme : mais c’est prudence, car tenant sa perte
inéuitable aussi bien que necessaire ; ce Iuge interieur prononçant contre luy vn
Arrest plus rigoureux que celuy de nostre Parlement Auguste ; sa conscience le
condẽnant auec Iustice, il veut du tout du moins sauuer son pillage de son débris,
& pour ne point perdre tant de choses tout à la fois, il veut faire suruiure à sa
perte ces sommes immenses qui en ont esté les instruments & les appas, il veut
sauuer ce qui l’a perdu, & pratiquant le precepte de la charité la plus heroïque,
faire du bien à ce qui luy a fait tant de mal.

Enfin, c’est luy, & non pas nous, (comme tu nous accuse) qui a tout mis en
desordre & confusion, & si nous auons pris les armes, c’est pour nostre Roy,
nous ne sommes ny perturbateurs ny méchans, ny gens qui se remuent pour autre



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