Anonyme [1649], LETTRE D’AVIS A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS ESCRITE PAR VN PROVINCIAL. , français, latinRéférence RIM : M0_1837. Cote locale : A_5_23.
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s’accommoder auec vn Prince qui ne propose pour articles que
des rouës & des gibets ; car au moins a-t-on esperance d’vn plus
fauorable traittement sous quelque autre que ce soit : la plus-part
des reuolutions des Estats sont arriuez par là, & sans que i’apprehende
d’abuser du temps, & d’estre long, i’en marquerois assez
pour preuue de mon dire.

 

Ie reuiens donc à ma proposition, & dis que la Reine deuroit
faire lire, & comprendre ces Histoires-là au Roy son fils, & le
nourrir dans vn amour pour ses subjets au lieu de l’animer à la
vengeance contre les Parisiens & tous ses autres fideles seruiteurs :
Car si les peuples, comme il est infaillible, ont connoissance de
cette nourriture ; que dirõt-ils en eux-mesmes, s’ils ne le declarẽt
tout haut ? que peuuent-ils attendre de meilleur que par le passe ?
quoy, il y a trente ans qu’ils sont sous vne tyrannie, & ils en voyent
trente autres qui viennent ou dauantage, qu’il leur faudra estre
encore pis ? a quoy se doiuent-ils resoudre ? les traits de la necessité
sont cuisans, & tel se void obligé de faire ce qu’il n’auroit iamais
pensé. C’est vn pernicieux conseil qu’on a donné à la Reine
de luy faire risquer le tout pour le tout ; elle commence à en voir
la consequence, elle a crû n’auoir que le Parlement de Paris en teste,
elle luy fait la guerre, & ie ne sçay si elle n’a point affaire de
luy auiourd’huy pour estre maintenue, & ie ne sçay s’il en pourroit
venir à bout quand il l’entreprendroit ; Elle a ietté le dé la premiere,
& luy en suite, ils n’en sont plus les maistres, ny l’vn, ny l’autre ;
c’est à la fortune à iouër à son tour, où plustost à Dieu a faire
voir vn effet de sa souueraine puissance.

[1 mot ill.] au
Roy.

La Reine ne doute pas, si on ne la flatte, que tout le monde la cõdamne,
& si la voix du peuple est la voix de Dieu, qu’elle tire la cõsequence.
C’est vne des grandes marques qu’il y ait d’vn changement
d’Estat, quand les peuples n’ont plus de respect, ny de crainte
pour leurs Souuerains, & quand ils les mettent au pis faire : Denis
le Tyran voulut bien changer de baterie, quand on luy rapporta
que ses subjets ne se soucioient plus de ses rages, ny de ses tourmens,
mais il n’en estoit plus temps ; & iugea bien qu’il estoit
perdu, comme en effet, si-tost que son ennemy se fut presenté vers
Syracuse, tout le monde s’y retira comme à vn azyle, & luy, fut
abandonné miserablement, despoüillé de son Estat, & reduit à
l’esclauage. Voilà ce qu’il faut representer au Roy d’vn costé pour
luy faire apprehender de mal traitter ses peuples, & de l’autre ces
sainctes instructions que donne l’Empereur Theodoze à son fils
Honorius dans Claudian, où il apprendra en substance, que les
armes ne mettent pas les Couronnes à l’abry des coups de la fortune,
mais bien l’amour des subjets ; qu’vn Prince ne se peut faire



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