Anonyme [1649 [?]], LETTRE DV SIEVR MAZARINI au Cardinal Mazarin son fils. De Rome le 25. Octobre 1648. Auec la Response du Cardinal Mazarin à son Pere. , françaisRéférence RIM : M0_2204. Cote locale : C_3_24.
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que le Prince de Conty son frere vouloit estre Cardinal.

 

Sur ces entrefaites, ie fais resoudre au Conseil l’emprisonnement de Chauigny,
& enuoyé le Sieur la Tellier de Ruet, où la Cour estoit, à Paris, & luy donné
ordre de le faire arrester dans son propre gouvernement du Bois de Vincennes :
I’en fus en mesme temps donner aduis à la Riuiere, qui en sauta de ioye, &
me promit derechef, que Monsieur le Duc d’Orleans me protegeroit hautement
contre tous & enuers tous.

Le jeu de la Riuiere faisoit des merueilles pour moy dans ce moment par la
ioye qu’il auoit de voir son ennemy renuersé : & l’esperance qu’il auoit que son
Chapeau de Cardinal arriueroit apres Noël, & qu’à l’heure il auroit entrée au
Conseil, où estant il feroit son compte, qu’il viendroit aysement à bout de moy
par l’authorité de son Maistre.

Toutes choses ainsi disposées, i’auois autant de besoin de la faueur du Prince
de Condé, & plus que de celle du Duc d’Orleans, pour me maintenir & appuyer
contre les Parlemẽtaires, parce que c’est vn Prince courageux, hardy, habille,
& capable de former vn puissant party en France, ie me liguay auec luy
fortement, & ie luy promis, comme i’ay desia dit, que s’il me vouloit proteger
que i’empescherois bien que la Riuiere ne fut Cardinal, au moins si tost comme
il esperoit, quoy qu’on luy eust promis, & qu’il n’y auoit qu’a luy opposer
le Prince de Conty.

Me voila donc à la Cour parmy les desordres de Paris & du Parlement, protegé
de ces deux Princes, qui dans leurs ames me voudroient peut estre voir au
gibet. I’ay surmonté cependant tous les efforts de mes ennemis, & par ma conduite
ie les ay rendus vains & inutils, mes affaires s’accommodant auec celles
de l’Estat, moyennant vne Declaration du Roy. Et toutes choses estant paisibles,
la Riuiere n’attendant plus que l’heure qu’on luy apporteroit les nouvelles
de sa promotion, afin de ioüer son ieu, & pour me destrousser, somme le
Prince de Condé de se declarer pour pretention du Prince de Conty au Cardinalat.

Ce Prince se declare, la Riuiere s’en plaint, mais en vain, il fait faire des incartades
impertinentes à son Maistre sur ce sujet : ie m’en laue les mains comme
on dit, & rejette la faute au Prince, & dis que ie ne puis que faire contre les
desseins du Prince de Conty, que sa pretention est iuste & raisonnable, & que
ie n’en suis pas l’autheur & l’instigateur.

Apres tout, qu’y a il à dire, n’ay-ie pas fait mes affaires en habille Docteur,
& en sage Politique pour me conseruer dans ma fortune ? Que ces Messieurs se
pleignent tãt qu’ils voudrõt, fourbe a fourbe n’y a que la main, s’ils auoient pû
me faire quitter la place, ils l’auroient infailliblement fait. Ie suis si asseuré de
leur bõne volonté, que ie leur en ay autant d’obligation, que s’ils l’auoiẽt fait.

Ie vous puis bien dire en conscience, que si Dieu me conserue
dans l’Estat où ie suis iusques à la Majorité du Roy de France, que ie
feray bien voir du pays anx vns & aux autres, aux Princes & à leurs
fauoris, & que ie leur monstreray que i’ay esté esleué en bonne escole. Ie
voy bien que les Princes peschent en eauë trouble, & qu’ils vsurpent impunément
dans les prouinces l’authorité du Roy pendant sa minorité, ils se trouveront
bien loin de compte, quand le Roy sortira de page, ie ne leur demande
qu’vn mois de ce temps la pour leur faire voir que ma patiẽce n’est pas coyonnerie,
comme ils s’imaginent, & ie vous donne le plus huppé d’entre eux



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