Anonyme [1649 [?]], LETTRE DV SIEVR MAZARINI au Cardinal Mazarin son fils. De Rome le 25. Octobre 1648. Auec la Response du Cardinal Mazarin à son Pere. , françaisRéférence RIM : M0_2204. Cote locale : C_3_24.
page précédent(e)

page suivant(e)

-- 5 --

de luy & de ses conseils.

 

Or comme il estoit impossible qu’estans tous deux amoureux d’vne mesme
Maistresse, qui consistoit à gouverner l’Estat en France, nous puissions en posseder
la ioüissance conjointement sans jalousie, & sans mettre la diuision entre
nous deux, qui eust fait perir l’vn ou l’autre vn iour, i’ay esté obligé de rompre
enfin auec luy entierement, comme i’ay fait, parce qu’encore que ie ne luy fisse
que fort petite part de la connoissance des affaires, ie voyois qu’il ne perdoit
pas esperance d’y rentrer, & qu’il se tenoit à vn poste qui me faisoit ombrage ;
car demeurant a la Cour auec toutes ses habitudes entieres, & toutes les intrigues,
sujet de craindre que dans les troubles passez il ne reprist son aduantage,
& qu’il n’aidast à me destrousser, comme ie sçay qu’il y a trauaillé sous main
tant qu’il a peu : ie le deuois d’autant plus craindre que pour s’esleuer pardessus
moy, son ambition estoit secondée du ressentiment de l’injure qu’il croit que ie
luy ay fait de ne le plus faire gouverner l’Estat auec moy, & que ma ruïne eust
esté bien plus grande par vn tel successeur habile & hardy comme il est, qui eust
fait partie de son bon-heur, & m’exterminer entierement, qu’elle ne le pouvoit
estre par aucun autre qui m’eust succedé, si bien que desirant me conserver dans
ma bonne fortune, ou faire naufrage auec la moindre perte que ie pourrois, i’ay
esté obligé de vaincre mes ennemis, & n’en ayant point de plus violent ni de
plus capable de me precipiter que le Sieur de Chauigny, i’ay fait vne action
d’homme sage, de le faire arrester dans son propre gouvernement.

Ie passe au Sieur de la Riuiere Fauory du Duc d’Orleans, qui a heureusement
secondé le dessein que i’auois de me deffaire de Chauigny, à cause de l’inimitié
qu’il auoit contre luy. Ce Fauory qui seroit rauy aussi de ma disgrace pour prẽdre
ma place sous l’authorité de son Maistre, ne voyant personne en son dessein
qui luy en peust empescher l’entrée dans vne déroute de ma fortune, que le dit
Sieur de Chauigni, qui estoit consideré dans le Conseil comme homme capable
de gouverner l’Estat auec succez, & s’imaginãt qu’il me faudroit enfin quiter la
partie, pour terminer & pour composer tous les differends, & qu’infalliblement
la Reyne se seruiroit du Sieur de Chauigny, plustost que de personne pour le
maniemẽt des affaires, & qu’ainsi il seroit frustré de ses vaines esperances, & en
danger d’estre dominé par son ennemy, qui promet me succeder selon toutes les
apparẽces du monde, m’accorda la protection de son Maistre le Duc d’Orleans
pourueu que ie luy donnasse parolle d’oster Chauigny de la posture de pouvoir
entrer dans les affaires, & d’y auoir part cy apres, & que ie le ferois emprisonner.

Ie m’apperceus incontinent de sa ruse, & de là i’ay commencé vne bonne &
ferme esperance de me deffaire aysement de l’vn & de l’autre ; & que commençant
par Chauigny ie viendrois bien à bout de la Riuiere auec le temps par le
moyen d’vne ligue que i’auois desia commencée auec le Prince de Condé, qui
a tousiours eu dessein d’empecher autant qu’il pouuroit la promotion de la
Riuiere, par lequel le Prince apprehẽde qu’il ne vueille gouverner l’Estat pendant
la Regence s’il deuenoit Cardinal, & croit qu’il luy seroit aysé de le faire
en se seruant de l’authorité de son Maistre, & qu’ainsi il seroit à sa mercy de
l’ambition de ce faquin & sujet aux foiblesses du Duc d’Orleans.

Me voilà donc ligué auec la Riuiere pour faire chasser entierement Chauigny,
& en mesme temps ligué contre la Riuiere auec le Prince de Condé à qui
i’auois promis d’empescher de tout mon pouuoir & à Rome, & enuer la Reyne,
la promotion de la Riuiere, pourueu qu’il voulut en temps & lieu declaret



page précédent(e)

page suivant(e)