Anonyme [1649 [?]], LETTRE DV SIEVR MAZARINI au Cardinal Mazarin son fils. De Rome le 25. Octobre 1648. Auec la Response du Cardinal Mazarin à son Pere. , françaisRéférence RIM : M0_2204. Cote locale : C_3_24.
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principalement quand il disent, que i’ay fourbé les Sieurs de la Riuiere &
Chauigny, & que ie pense plus à la conseruation de ma fortune qu’à celle de
l’Estat, ne sont que des suites des effets de la crainte que i’ay euë de perir par la
trahison de l’vn, & le ressentiment que l’autre a contre moy, qui m’a fait resoudre
à m’en deffaire à quelque prix que ce fut, parce qu’ils sont les deux plus
grands obstacles que ie puisse auoir pour me maintenir paisible dans le gouvernement
de l’Estat.

 

Celuy qui me trahit est le Sieur de la Riuiere Fauory du Duc d’Orleans, qui
est vn homme de neant, plus enuié & plus hay encore que moy en France, de
tous les Ordres du Royaume, & qui a vne enuie enragée de paruenir au Cardinalat,
& au principal Ministere de France.

L’autre est le Sieur de Chauigny, qui se tient offensé de ce qu’il n’est pas premier
Ministre d’Estat conjointement auec moy pour disposer des choses à son
gré, comme ie fais au mien, si bien que ces gens-là me calomnient, parce que
ie ne me laisse pas terrasser pour les mettre en ma place, & que ie ne leur donne
pas le loisir de me perdre.

Comme vostre Lettre n’est qu’vne plainte quasi en termes generaux de la
part des mescontans, ie n’y sçaurois quasi respondre que generalement ; mais
parce que ces sortes de maniere d’escrire & de s’esclaircir ne satisfait pas, parce
qu’elles ne specifient rien pour vous pouuoir seruir pour me iustifier enuers
nos amis, ie iuge à propos de vous dire que vous deuez estre content de moy,
quad ie vous auray respondu sur trois choses, qui font toutes mes inquietudes,
& auquelles ie suis obligé de pouruoir, desquelles vous me parlez dans vostre
Lettre plus particulierement que du reste.

L’vne est, touchant le Sieur de la Riuiere Fauory du Duc d’Orleans, l’autre
touchant le Sieur de Chauigny, autrefois Secretaire d’Estat : & la troisiesme,
sur ce que ie fais paroistre dans toute ma conduite, que ie prefere mes interests
parti culiers à ceux de toute la France.

Representez vous, ie vous prie mon Pere, que ie suis à la Cour de France
pour Ministre d’Estat, qu’en cette qualité ie suis enuié de tout ce qu’il y a
d’hommes dans le Royaume qui ont veu ma fortune naissante. Le Sieur de
Chauigny qui estoit autres fois mon amy intime, & vn de ceux qui se peut apparamment
plaindre de moy, mais sans fondement : prend pour pretexte, que
ie luy promis dans les premiers commencemens de ma grande fortune, &
lors que le feu Roy me choisit pour le maniement des affaires de son Royaume,
de luy faire part de mon Ministere auec pareille authorité que moy, en sorte
que l’on pourroit dire que nous gouvernerions conjointement. Cela est
vne chrimere qu’il s’estoit forgée à plaisir ; car quel moyen que deux hommes
égaux en pouvoir & authorité puissent gouverner vne Monarchie sans se diuiser
vn iour, & sans y former vn double party. Il est absolument faux que ie
luy aye iamais donné de parole pour luy faire part de mon Ministere si auantageusement ;
& il a esté de ma prudence & de mon addresse de me deffaire de
luy insensiblement, comme i’ay fait, luy faisant en premier lieu vendre sa charge
de Secretaire d’Estat à vn homme qui n’a point d’esprit, qui luy donnoit
entrée dans les affaires, malgré que i’en eusse, & qui luy pouvoit seruir vn iour
d’occasion pour renuerser ma fortune, quand il en eut trouve la conjoncture
commode pour luy. Ie l’ay sevré en suitte peu à peu de la connoissance secrette
des affaires & de mes desseins, afin de me rendre maistre absolu & independant



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