Anonyme [1649], LETTRE DV COMTE DVC D’OLIVAREZ MINISTRE D’ESTAT DV ROY D’ESPAGNE : A IVLES MAZARIN CARDINAL, ET N’AGVERES MINISTRE D’ESTAT, DV ROY DE FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_2101. Cote locale : C_3_37.
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des armes dans les mains de quelques François pour
vous conseruer. I’aurois sujet d’estre ialoux de vous voir ioüir
d’vn priuilege dont ie ne ioüy pas, si ie ne sçauois bien que
cette apparence de bon-heur est fausse, & qu’au lieu de vous
en rendre plus heureux, elle ne paroist qu’à dessein de vous
faire plus miserable.

 

Voilà ce que c’est, que de se faire les compagnons des
Roys, les indignes administrateurs de leurs Royaumes, &
les infames Tyrans de leurs sujets ! Les hautes entreprises
estant iniques, ne reüssissent iamais qu’à la confusion de ceux
qui les forment ; ainsi de leurs biens ils en font leurs maux ;
& de la fortune où ils pensent s’éleuer, ils sont tous estonnez,
quand ils se voyent precipitez par vne cheute qu’ils n’auoient
pas preueuë. Voilà ce qui m’est arriué, & ce que vous ne
pouuez euiter en la mauuaise posture où ie vous voy, & parmy
tout le Royaume de France, & parmy tous ses peuples.
Il faut aduoüer que l’ambition de s’agrandir plus qu’on ne
doit, est vne dangereuse conuoitise, qui faut souffrir plus qu’on
ne peut : Et ie m’estonne maintenant, comme ceux qui sont
en ce danger, ne se representent pas tousiours deuant leurs
yeux, la cheute des Phaetons, & des Icares. L’orgueil nous
aueugle insensiblement, & l’auarice & les autres vices nous
ostans la connoissance de nos malheurs prochains, font que
sous la pillule dorée, nous ne voyons pas le poison qu’elle cache.
Que nos desseins ont esté pernicieux ; & qu’il ne faut
pas s’estonner, si nous en ressentons de rudes supplices !
Quoy ! tramer la ruine des Princes qui nous partagent leur
grandeur, leur pouuoir, &; leur gloire ? Vouloir dépoüiller
de leur biens ceux qui nous en enrichissent, oster le Sceptre
de la main à ceux qui font plus d’estat de nostre amitié que
de leur couronnes : & pour tout dire, trahir si laschement vn
Estat qui ne pense florir que par les legitimes soins qu’il croit
que nous ayons de sa conseruation ? Voilà vne partie de nos
crimes, mon compagnon de misere, iugeons sainement vous
& moy, si tant d’enormes pechez meritent vne indulgence ?
Ie trouue ma prison trop douce, pour mon delict ; & vous,
à mon exemple ne trouuerez-vous pas vostre bannissement



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