Anonyme [1649], LES DOVCEVRS DE LA PAIX, ET LES HORREVRS DE LA GVERRE. , françaisRéférence RIM : M0_1173. Cote locale : A_3_22.
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Mais quoy que le temps les ait effacées, il reste encores
à nos yeux assez d’obiets, qui nous font souuenir de
ce qu’elle a tousiours esté. C’est elle qui s’accordant parfaitement
au cours de la nature, laisse le prin-temps rire, &
se resiouyr de la venuë du soleil. Elle voit les fleurs & l’herbe
naistre, & toute la campagne se peindre de l’admirable
varieté d’vn million de diuerses couleurs, elle sent de toutes
parts l’air plein des odeurs que iettent ces belles choses. Elle
entend la douce musique des petits oiseaux, qui commencent
à dancer aux chansons qu’ils entonnent eux mesmes,
elle les considere se faire l’amour, se plaindre, & tirer de
leurs poictrines les chauds gemissemẽs que leur inspire leurs
feux, & de toutes ces choses qu’elle regarde, elle les endure
auec patience ; elle ne voudroit pas auoir foulé vne fleur,
ny vne herbe, ny interrompre les ébats innocens de ces petits
animaux de l’air.

 

Elle a la mesme tranquillité en toutes les saisons de l’année ;
elle souffre à l’esté de meurir ses fruits, à l’automne
de les cueillir, à l’hyuer d’en auoir l’vsage ; elle void auec
plaisir naistre, & se perfectionner les richesses de la campagne.
Les granges & les celliers cõblez de bleds & de vins,
n’ont point de peur qu’elle leur face outrage : elle souffre
que le laboureur iouysse de sa propre peine, elle conduit
les bergers & les bergeres dans les pascages, & garde elle-mesme
leurs troupeaux, pendant qu’ils s’entretiennent &
passent le temps ; Enfin sous son regne toutes choses demeurent
dans leur splendeur naturelle, & celles que la guerre ou
quelques autres accidens ont desolées elle les restablit. En
sa domination si la campagne a esté rauagée, elle repare ses
breches à son aise ; si les villes ont esté destruites, on les void
incontinent rebastir. Si mesmes elles sont encores entieres,
elle fait de marbre comme fit iadis Auguste de Rome, ce qui
n’estoit encores que de brique. C’est à elle à qui nous deuõs
ces superbes edifices, qui annoblissent nos cités ; tout ce
qu’ont iamais eu de beau l’Egypte, l’Italie, & la Grece estoit
de son inuention ; dans les confusions de la guerre on ne
pense point à la symmetrie des bastimens. Mars ne demande



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