Anonyme [1649], LES DERNIERS SVPPLIANS AVX PIEDS DE LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_1047. Cote locale : C_10_24.
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quand elles sont ensemble ne tendent à autre chose ; de
là vient que mesme sorte de terre, à mesme sorte de plante, leur est
sans doute tousiours la plus propre : & qu’à plusieurs d’entre les vegetaux
des climats differends les font viure & les font mourir. Les animaux
qui ont le mouuement & le sentiment vnis à cette inclination
premiere, se ioignent aussi mieux ensemble, & se secourent plus facilement.
Et si vous ne le sçauiez pas mieux que nous, Madame, nous
vous ferions voir en eux des marques de cette tendresse naturelle, qui
donnent moins à croire qu’à admirer.

 

Que ferez-vous, Madame, à ces exemples insensibles & irraisonnables,
qui monstrent tous les iours, & qui apprennent aux hommes, la
sensibilité & la raison. Nous ne doutons point que vostre cœur ne se flechisse
vers les nostres, & que vous n’imitiez l’amour pur & incorruptible
de ces Estres aueugles, auec ce glorieux aduantage, que le vostre
sera conduit par des lumieres & des puissances qui perfectionnerõt son
action. Vous sçaurez qu’aymer vn miserable c’est le secourir, au moins
quand le pouuoir & la passion se rencontrent ensemble, & que l’vn &
l’autre peuuent agir. Car il se trouue bien des compassions veritables
sans secours ; mais c’est lors que l’impuissance empesche l’acte exterieur
d’vne volonté tousiours bien faisante en desirs, si ce n’est en effets.
Grace à Dieu, grande Reyne, vostre bonté que reclame nostre infortune
n’a point à craindra ce deffaut.

Secourez-nous donc, Madame, ayez pitié de nostre mal-heur.
Vous auez le pouuoir de nous bien faire, ayez en la volonté que nous
vous souhaittons. Outre que nous sommes membres de la Republique,
que d’ailleurs nous soyons auec vous d’vne mesme espece, &
que vous nous deuiez ce que nous vous demandons par raison de politique,
& par affection de nature, vous nous le deuez encore par
charité.

Vous sçauez combien les pauures sont recommandez en la saincte
Parole, combien Dieu y promet de recompenses, & combien il y menasse
de peines pour obliger à les secourir. Iusques là que le Seigneur
Iesus veut estimer comme receu en sa propre personne les biens &
les maux qu’on leur aura faits. Voyez, Madame, quel traittement vous
nous deuez faire, qui n’offence pas le Fils de Dieu. Nous sommes ses
membres, Madame, il est mort pour nous donner la vie, souffrirez-vous
vn tyran qui nous fait mourir ? Il a voulu estre pauure pour nostre
richesse, & ce barbare nous a tous appauuris pour s’enrichir. Il
est venu pour mettre la paix entre le Ciel & la terre, & ce cruel met par
tout la guerre, iusques entre vous & vos subiets. Banissez cét Ante-Christ,
Madame, dont le crime enuers tout le monde vous va rendre
enuers Dieu criminelle, si vous le souffrez plus long-temps. La voix
& les cris des pauures qui reclament vostre Iustice percent facilement
le Ciel, & sont receus au Trosne de Dieu ; que faites-vous si vous nous



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