Anonyme [1649], LES DERNIERES PAROLES DE MONSIEVR LE DVC DE CHASTILLON MOVRANT, A Monsieur le Prince de Condé. , françaisRéférence RIM : M0_1036. Cote locale : B_6_45.
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la fin de mes iours en combattant contre nos ennemis communs ;
j’aurois receu la mort auec ioye en répandant mon sang pour la defense
de mon Pays, & de mon Roy. Vous auez esté tesmoin mille
fois auec combien d’ardeur ie me suis exposé aux hazards de la guerre,
lors que j’ay crû y trouuer cette gloire qui sert de recompense à la
valeur ; ma mauuaise fortune m’a dérobé à ces dangers honorables,
pour me ietter dans le malheur dont vous me voyez accablé ; quand ie
considere que ie meurs auec honte, auec les reproches des gens de
bien, & auec la haine des peuples, cette reflexion me donne vn second
coup plus mortel encore que le premier.

 

Monsieur, si la voix d’vn amy qui expire est capable de vous toucher,
faites-vous vn exemple de ma disgrace ; vous m’auez si souuent
asseuré que vous reconnoissiez de la conformité dans nos humeurs,
que j’ay peur qu’il ne s’en rencontre aussi dans nos fortunes. Ceux que
vous vous estes rendu vos ennemis, n’esperent desia plus trouuer de
seureté pour leur vie, que dans la perte de la vostre. Iugez de combien
de perils cette opinion vous menace. Pensez-vous pouuoir resister
tout seul à vn ennemy puissant, & qui est presque dans le desespoir ;
car de croire que vous receuiez beaucoup d’assistance de vos soldats,
c’est ce qui est peu vray-semblable, ils sont en petit nombre, & de
plus il n’y en a point parmy eux qui n’ait fort bien reconnu par le passé,
que vous n’estimez pas leur vie plus qu’vne chose de neant : ce
n’est que l’esperance du butin qui les retient aupres de vous. Mais
outre que cette licence est l’affoiblissement d’vne Armée, ils commettent
des violences si horribles par la campagne, qu’il n’y a plus
rien qui n’y conspire leur ruine & la vostre. La rage & le desespoir
fournissent des armes bien dangereuses à ceux qui en sont possedez.
Ayant d’vn costé vne infinité d’ennemis en teste, & de l’autre la campagne
estant animée contre vous, il est impossible que vous puissiez
encor subsister long temps : pas vne Prouince ne tient pour vous ; par
le defaut du commerce vostre Armée est dénuée de toutes les munitions
necessaires ; n’ayant pour toute subsistance que le pillage de
quelques villages, cela ne suffit pas pour entretenir vostre Camp ;
L’argent vous manque ; s’il y a aupres de vous quelques personnes
qualifiées, vous deuez croire qu’elles y sont moins par affection que
par bienseance ; où l’interest de leur charge les arreste, où la crainte
que ceux dont vous fauorisez le party, n’attentent à la personne du
Roy : Il n’y a pas mesme iusques à nos alliez qui n’ayent refusé de



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