Anonyme [1649], LE ZELE ET L’AMOVR DES PARISIENS ENVERS LEVR ROY. , françaisRéférence RIM : M0_4082. Cote locale : A_5_21.
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sont ses bras, ses mains, & ses jambes ; auec eux il fait tout, & sans eux il ne
feroit rien.

 

Ainsi les Suiets dans vne pareille impuissance esprouuent vn mesme
amour. Ie dis vne pareille impuissance ; car ils ne sont pas plus puissans pour
estre plusieurs : Leur nombre sans conduite n’est qu’vne confusion plus
grande, & vn desordre plus dangereux. A quoy peuuent seruir tant de bras
sans teste ? Que deuiendront tous les membres d’vn corps, si ce corps est
priué de chef ? Il faut pour rendre vn tout accomply luy donner toutes ses
parties, autrement il est imparfait ; & si celles qui manquent sont necessaires,
la ruine suit son imperfection. Or le Prince & les Suiets en l’Estat sont des
parties necessaires, si l’vn des deux manque l’Estat est perdu. Quand l’on
abat les murs d’vne maison, ou les fondemens, ou ruine en mesme-temps
tout l’edifice. L’homme meurt si l’on oste l’ame du corps, ou le corps à l’ame :
& l’Estat ne peut subsister si l’on en bannist les Suiets, ou bien le Monarque.
Sans celui-cy le reste n’est qu’vn chaos de trouble & de desreiglemens
estranges ; chacun feroit à sa phantaisie : & comme l’homme est mauuais
naturellement, on ne verroit dans le monde que crimes ; le fort opprimeroit
le foible, tous seroient tyrans si nul n’estoit Roy. Sans ceux-là, il n’y
auroit de Roy qu’en Peinture ; quelqu vn pourroit auoir des tiltres vains,
la Puissance n’auroit point de regne ; on ne commande point quand nul n’obeyst.
Il faut donc pour subsister que les deux subsistent ensemble, & que
comme ils se protegent mutuellement ils s’ayment de mesmes ; car aussi
leur protection est la principale cause de leur amour.

Si quelqu’vn vouloit renuerser l’ordre inuariable de cette harmonie merueilleuse,
& dire qu’il n’est pas tousiours necessaire qu’vn Roy & des Suiets
subsistent ensemble, pour faire qu’vn Estat subsiste ; Qu’il y a vne infinité
d’Estats qui ne recognoissent point de Monarque, & qui viuent sous
vn autre gouuernement ; le ne m’arresteray point à vne obiection si vaine,
& ie n’en interromperay point mon discours. Ie la nomme vaine, & elle est
telle ; pource qu’elle ne fait qu’éfleurer la superficie des choses, & n’entre
pas iusques au fonds. Que celuy qui s’en voudra seruir considere, quelque
sorte de gouuernement que ce puisse estre, & il verra que la Monarchie regne
par tout. Soit que les Nobles ou le Peuple, conduisent les Republiques,
ou que les vnes & les autres le fassent ensemble ; soit qu’il y ait plusieurs
Consuls, ou qu’il y en ait peu ; quand mesme autant d’hommes qu’en
peut auoir l’Estat le plus vaste du monde, donneroient tous leurs voix sur
chaque matiere politique, & que tous ensemble contribuëroient à sa conduite,
si n’empescheroient-ils pas que de tant de puissances dépendantes,
n’en resultast vne souueraine, qui ne peut-estre autre chose que la Monarchique.
C’est elle-mesme de fait qui n’a pas tant de force à cause de son
trop d’étenduë, étant diffuse en tant de mains, elle est plus foible en chacune
d’icelles ; & l’on voit bien assez quand par vn vniuersel consentement
toutes ses mains s’vnissent & ce déterminent à mesme chose, que c’est le
mesme pouuoir, qui pour exister differemment ne laisse pas d’estre la mesme
essence.



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