Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Card. Ie ferois encore mieux le Sinon, si ie n’estois pas connu. Et ie
poursuiuois, Que cette Isle n’est-elle l’Isle de Tenedos, où j’aye vne puissante
armée ? Ha qu’elle est aduantageusement située proche du Palais, que ie
saccagerois auec autant de cœur que les Grecs firent celuy du Roy Priam ; &
vous Madame Hecube la Iustice, qui y presidez auec tant d’arrogance, que ie
prendrois de plaisir à vous violer !

Le Casuiste. Vous l’auez des-ja tant de fois violée, & luy auez tant de fois
promis mariage, si vous ne l’espousez il n’y a point de Paradis pour vous.

Le Card. Que i’arrouserois volontiers nos Lys, sur lesquels ces Catons
ont l’honneur de s’asseoir, du sang que ie tirerois de leurs veines, en les esgorgeant
entre les bras de Madame Astrée !

Le Casuiste. Monseigneur, sçauez vous bien que vous offenciez Dieu à faire
toutes
ces imprecations là, & à entretenir de si mauuaises pensées ?

Le Card. C’est vne espece de contentement de souhaitter du mal à ses ennemis.
Mais pour continuer de vous dire les resueries que i’auois cette
nuict là, ie retirois quelquefois les yeux de dessus Paris, en me retournant
vers le carrosse du Roy, & disois, Que ie suis sot de souhaitter du mal à cette
detestable Cité ! Me suis-je pas assez vengé, en luy enleuant son Ange Tutelaire,
ce feu sacré des Vestales qui maintenoit le bon-heur des Romains,
en vn mot leur rauissant le Roy, dont l’absence ne leur promet rien moins
qu’vne guerre Ciuile ? Ie suis trop puissant, puis que ie suis maistre de sa personne,
& sous son authorité, ie veux faire perir par vne lãguissante mort, cette
Hydre que la force ne sçauroit abbatre. Quelquefois attachant ma veuë
sur la riuiere, ie disois, Que ne puis-je prendre mon poste à Charenton ou à
Corbeil ? Ie m’estudierois à empoisonner les eaux & les poissons, pour me
venger de cette detestable engeance. Mais aussi n’aurois-je pas le contentement
que ie gousteray à saint Germain, lors que ie te verray toute couuerte
des corps morts des Parisiens, pour seruir de pasture aux Monstres de la
mer, comme ils auront serui de victimes à ma vengeance.

Le Casuiste. Les Monstres s’obligent les vns les autres, ceux de la terre se
repaissent du sang, & donnent la chair à ceux de la mer.

Le Card. Voila bien rencontré, comme s’il n’estoit pas honorable & licite
d’exterminer des canailles.

Le Casuiste. Monseigneur les autres objets ne fournissoient-ils point
d’autres belles pensées à vostre indignation ?

Le Card. Ie les rejettois souuent, pour songer aux mesures que ie deuois
prendre, pour conduire nostre dessein. Mais vous qui estiez dans Paris, ne
se doutoit-on point de nostre depart ?

Le Casuiste. Non Monseigneur, mais comme vous sçauez que ie m’amuse
quelquefois à resuer la nuict, ie mis la teste à la fenestre, & iettant l’œil vers
le Ciel, ie vis vne Comete sanglante, qui du costé de la Iudée, tiroit vers
saint Germain. Ce n’est pas là dis-je, l’Estoile qui conduisit les trois Roys à
Bethleem, car celle-là s’en esloigne, & si ne promet-elle que de la guerre &
du carnage. Vous estiez l’vn de ces trois Roys Monseigneur, qui suiuiez la
toute de cette Comete ; mais estoit-ce vous qui portiez l’or ?



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