Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Casuiste. Vn bon esprit se doit deffier de tout ? N’y a-t’il point de Parlements
qui vous ayent joüé la piece ?

Le Card. Et oüy, ce sont eux qui m’ont jetté le chat aux jambes, & qui sont
à present les plus animez contre moy.

Le Casuiste. Mais, Monseigneur, vostre Eminence fut bien estonnée,
quand elle oüyt nouuelle des barricades.

Le Card. Ie ne m’attendois pas à cela.

Le Casuiste. Quelle pensée eustes-vous d’abord ?

Le Card. Ie n’en eus aucune. Mais comme si j’eusse esté frappé d’vn coup
de foudre ie demeuray immobile, & estois en vie, sans sçauoir que ie fusse
viuant, vn glaçon se glissa plus viste qu’vn trait d’arbaleste par toutes mes
veines, puis mes esprits estans vn peu reuenus, vne sueur tiede me couurit
le corps ; Quand les fonctions vitales se furent vn peu remises, elles ne seruirent
qu’à donner vn peu de force à mon imagination troublée, qui me representoit
le massacre du Marquis d’Ancre. Ie voyois ce me sembloit entrer
vne populace enragée dans le Palais Royal, & sans auoir esgard au respect
qu’ils doiuent à la Majesté, se jetter sur moy, comme vn million de corbeaux
sur vne charogne, & me tourmenter dans les parties les moins mortelles,
pour auoir plus de temps à assouuir leur rage & leur vengeance ; Ces pensées
me mirent en vne espece de frenesie, où ie dis cent extrauagances, que
ie suis honteux de vous redire.

Le Casuiste. Fustes-vous long-temps en cet estat-là, Monseigneur ?

Le Card. Vne demie heure.

Le Casuiste. Et en suite ?

Le Card. Quoy que ces violentes secousses & agitations de l’ame m’eussent
vn peu debilité les esprits & le corps, je ne laissay pas de m’exciter comme
vn taureau qui se donne de la teste contre vn arbre, pour s’animer au combat,
ie rappellay tout ce que j’auois de courage, & me resolus par vne genereuse
fuite de mettre ma personne en seureté.

Le Casuiste. Quel iour arriua cela, Monseigneur ?

Le Card. Le Mercredy. Mais il faut que ie vous die, que lors que ie vis arriuer
Monsieur le Chancelier, qui portoit sur son visage pasle & deffait toute
l’horreur de la mort, il m’arriua comme à ces femmes sujetes au mal de
mere, qui en sont atteintes, si-tost qu’elles envoyent vne autre en pareil estat,
mon saisissement & ma frenesie recõmencerent, & contre l’aduis de plusieurs
ie dis qu’il falloit rendre Mr de Broussel & de Blasmeny, & ce au plus viste.

Le Casuiste. Dormistes-vous bien, Monseigneur, la nuict suiuante ?

Le Card. Nous estions bien dans vn estat de dormir. N’auez-vous iamais
esté sur la mer dans vne tempeste, lors que les vents & les flots luttant les
vns contre les autres, esbranlent le fondement des rochers, les eauës du
Ciel se meslent auec celles de l’Ocean, & le feu qui paroist entre deux, represente
l’image de ce chaos, où les Elemens estoient dans vn monstrueux
meslange : Cependant le Dieu Neptune, les Tritons & les Sirenes se cachent
au plus creux de leurs antres, craignant que Iupiter ne descende du
Ciel pour tirer vengeance des violences qu’ils ont exercées sur les mortels,



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