Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Card. Tant plus vn Estat a moins à craindre au dehors, tant plus a-t’il
à craindre au dedans. Ie ne veux point d’autre exemple que l’Angleterre,
qui a fait comme ces vins fumeux qui creuent le tonneau, & se perdent
faute de leuer le bondon. Si le Roy de la Grand’Bretagne eust donné
air à ce sang renfermé dans vne Isle inaccessible, il n’eust pas esprouué les
mal heurs, sous lesquels il est accablé auiourd’huy.

Le Casuiste. Vous estes donc, Monseigneur, de l’opinion des Medecins
de Paris, qui veulent tousiours saigner.

Le Card. Vous comprenez ma pensée. La comparaison n’en est pas maumaise.
Car pour moy ie crois que la repletion tuë plus d’hommes que
l’espée. Ie pourrois adiouster que l’oisiueté est la mere de tous vices, qu’il
faut employer la Noblesse Françoise, qui desdaigne tout autre exercice
que celle d’Angleterre ; ce n’est pas comme ailleurs, où ils se plaisent à estre
marchands ou laboureurs. Il y a aussi tant d’esprits faineants dans vn grand
Royaume, qu’il faut employer pour le descharger d’autant. Et pour conclusion,
il faut qu’vn Prince soit tousiours armé, pour donner tousiours
de la jalousie à ses voisins, de la crainte à ses peuples, & estre tout prest à
appaiser les sousleuemens, s’il en arriue en quelque partie de son Estat. Où
estions nous, si nous n’eussions point eu d’armée, quand ce grand Corps
de Paris s’est esueillé en sursaut pour nous déuorer ?

Le Casuiste. Monseigneur, si vous n’eussiez pas pincé cette grosse beste,
elle dormiroit encore, & iamais les peuples ne se sousleuent quand on les
gouuerne paisiblement, que la Iustice regne, & que la Religion fleurit.
Ce n’est pas que ie ne voulusse qu’vn Roy eust des fortes places bien munies,
& vn thresor pour la necessité.

Le Card. L’exemple d’Angleterre confond tout ce raisonnement-là.

Le Casuiste. Pardonnez-moy s’il vous plaist, Monseigneur, la Religion
estoit toute corrompuë en Angleterre, le Roy n’auoit aucune forte place
munie, & ses coffres estoient tousiours vuides.

Le Card. Monsieur, ie vous ay dit tout ce qui se peut dire sur ce sujet-là,
& j’y adjousteray encore, que mon interest demandoit que la France
fust en guerre, & mesme qu’elle continuast long-temps.

Le Casuiste. Mais, Monseigneur, ne trouuastes vous point d’abord des
personnes aupres de la Reyne, qui choquassent vos sentimens, & s’opposassent
à vos interests ?

Le Card. Que trop ; mais ie les escartay tous sous des pretextes specieux ;
j’emprisonnay les plus furieux, & bannis les autres.

Le Casuiste. Tellement que vous ne trouuastes pas vn honnest homme
dans le Conseil, qui pressast pour la paix.

Le Card. Ie ne trouuay pas vn sot, voulez-vous dire.

Le Casuiste. Et de l’esprit des Princes comment en peustes-vous disposer ?

Le Card. Par le moyen de leurs Ministres que i’ay gaignés, en leur faisant
trouuer leurs interests dans mes maximes. Outre que Monsieur le
Prince estoit dans le boüillant de sa jeunesse, qui ne demandoit pas mieux
que d’en descoudre.



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