Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Casuiste. Mais, Mon seigneur, pourquoy auiez vous vne telle auersion
pour la paix ?

Le Card. Pour rendre la Reyne puissante, comme ie luy auois promis, &
pour suiure mes interests.

Le Casuiste. Pouuiez vous rendre vn seruice plus important à toute la
Chrestienté, & signaler vostre memoire d’vne action plus illustre ?

Le Card. Que vous entendez mal mes interests !

Le Casuiste. Mais quels estoient donc vos interests Monseigneur ?

Le Card. Ceux de la France.

Le Casuiste. Voila le moyen de clorre la bouche à Messieurs du Parlement,
si nous leur pouuons prouuer cela.

Le Card. Ie vous le vais prouuer par deux raisons, par mes interests propres,
& par ceux de la France.

Le Casuiste. Vous me rauissez desia de cette pensée.

Le Card. L’interest de la France est d’estre pauure, & que ie sois riche, cela
vous surprend ?

Le Casuiste. Il est vray, Monseigneur.

Le Card. Vn peu de patience ; vous estes Chrestien, n’estes-vous pas ? Vous
croyez aux sainctes Euangiles, & à tout ce que l’Eglise ordonne.

Le Casuiste. Oüy, Monseigneur.

Le Card. IESVS-CHRIST ne nous commande-t’il pas de prier & de
jeusner pour rendre la chair obeïssante à l’esprit ? Et ne voyez vous pas dans
les maisons Religieuses, que leurs Regles les obligent à jeusner pour le
mesme sujet ?

Le Casuiste. Il est vray Monseigneur.

Le Card. N’est-il pas vray aussi que les Officiers du Conuent ne jeusnent
pas tant que les autres, afin de ne pas succomber au trauail, & que parmy les
Capucins, qui font vœu de pauureté, le Pere Procureur ne laisse pas de faire
vne bourse, pour les reparations de la maison, & autres despenses necessaires ?

Le Casuiste. Tout cela est ainsi Monseigneur.

Le Card. Il en est de mesme d’vn Estat, & particulierement de la France,
où les esprits sont vifs & entreprenants. Et comme il n’y a rien qui inquiete
tant que la necessité, elle les occupe de telle façon, qu’ils n’ont pas le loisir de
songer à rien machiner contre l’Estat, & pour moy il falloit que ie fisse vn
fonds pour subuenir aux affaires inopinées.

Le Casuiste. Vous voyez à present, Monseigneur, qu’il en est arriué autrement,
& que le desespoir a fait ce que vous craigniez de l’abondance.

Le Card. C’est que la France n’estoit pas encore assez pauure ; fi l’on eust suiuy
mes conseils, ce Royaume ne fust pas tombé dans ce mal-heur, il le falloit
saigner vn peu dauantage.

Le Casuiste. Mais Monseigneur, tout le monde n’en pouuoit plus.

Le Card. Vous voyez pourtant que Paris leue des armées.

Le Casuiste. Mais la campagne, Monseigneur, en quel estat est-elle ?

Le Card. C’est Paris aussi que ie dis qu’il falloit saigner.

Le Casuiste. N’y auez-vous pas fait, Monseigneur, tout ce qui estoit possible ?



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