Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Casuiste. Mais le Roy estant mort, comment vous entré dans l’esprit
de la Reyne, qui sans doute auoit alors de l’auersion pour vous, comme l’vn
de ses persecuteurs ?

Le Card. I’auois des amis en Cour, qui representerent à cette bonne Princesse,
qu’ayant tous les secrets de l’Estat en main, & le fil des affaires, il ne falloit
pas m’escarter d’abord, mais se seruir de moy quelque temps, en me donnant
des compagnons pour me tirer petit à petit les affaires des mains.

Le Casuiste. C’estoit-là tout ce que vous pouuiez souhaiter pour lors.

Le Card. Ie vous laisse à penser, si ie m’oubliay à caresser tout le monde,
& à tesmoigner hautement, que de l’administration ie n’en demandois que
le trauail, & en laissois volontiers aux Princes toute la gloire & l’emolument.

Le Casuiste. Vostre Nation, Monseigneur, entend parfaitement cela, &
vous maniez vos esprits comme il vous plaist, vous demontez à vis vos
ames, comme vos postures, & sans cette addresse-là, pour dire vray, l’homme
est pire que d’aucunes bestes.

Le Card. Ie n’eus pas si-tost eu l’oreille de la Reyne, que la voyant vn peu
ébloüie de l’éclat de sa nouuelle grandeur, ie luy en fis faire de telles reflexions,
que ie l’aueuglay tout à fait ; Ie luy inspire des maximes si conformes
à la joye demesurée qu’elle sentoit, qu’enfin j’apperçeus qu’elle prenoit plaisir
à m’escouter, & me demandoit souuent ce qu’il falloit faire pour estre
heureuse & puissante Reyne.

Le Casuiste. Ne vous proposa-t’elle iamais de faire la paix ?

Le Card. Oüy, & j’en fus rauy, & l’entretins dans cette volonté-là fort
long-temps, luy disant mesme qu’elle la deuoit faire esperer à tout le monde,
& que c’estoit le moyen de gagner les cœurs & se rendre tres-puissante.

Le Casuiste. Comment puissante, Monseigneur, vostre Eminence est elle
d’opinion que la paix rende les Monarques puissants ?

Le Card. Que vous m’entendez mal ! Ie voulois que la Reyne persuadast à
vn chacun, qu’elle n’ambitionnoit rien tant que de faire la paix ; afin que le
Parlement qui esperoit desia cela de sa pieté & de sa naissance, dont l’vne faisoit
croire qu’elle auroit pitié de la misere du pauure peuple, & l’autre qu’elle
auroit horreur que le sang d’Espagne, dont elle estoit sortie, & celuy de
France à qui elle deuoit la qualité de Mere de Roy, se respandissent de son
adueu dans vne sanglante & barbare guerre. Ie vous rapporte les sentimens
du Parlement, comme la Reyne m’a dit les auoir reçeus de leur bouche.>

Le Casuiste. Et en suite, Monseigneur, qu’arriua-t’il ?

Le Card. Il arriua que le Parlement, croyant fermement que la Reyne feroit
la paix, par ces motifs que ie viens d’alleguer, la declara Regente, comme
vous sçauez, & comme ie n’auois pas dit mon dessein à la Reyne, elle fit
son personnage le mieux du monde, & au sortir du Palais vous eussiez dit
qu’elle auoit le rameau d’oliue en main.

Le Casuiste. Il est vray, Monseigneur, que c’estoit la pensée de tous les honnestes
gens.

Le Card. Ce n’estoit pas celle de tous les gens d’esprit.



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