Anonyme [1649], DISCOVRS D’VN PHILOSOPHE MÉCONTENT, ENVOYÉ A MADAME LA FORTVNE. SVR LE MALHEVR DES SCAVANS de ce Siecle. , français, latinRéférence RIM : M0_1110. Cote locale : C_7_53.
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tous les exemples des illustres malheureux ? permettez
seulement que ie vous die que c’est particulierement
en France, où les Philosophes, où les Poëtes, où les
Orateurs ; & les Historiens vous ont esprouuée comme
leur ennemie plus que mortelle. Ie remarque peu de
nos Roys qui ayent tesmoigné de l’amour pour les
Sciences & pour les Sçauans ; si vous en exceptez Chilperic
I. Charlemagne, Philippes le Bel, Charles V.
Charles VIII. François I. Charles IX. & Henry III.
Apres cela il ne faudra plus que l’on s’estonne s’il y a
chez nous peu d’hommes veritablement doctes, puis
qu’il n’y a point de recompense icy pour eux, & puis
que les boufons sont les seuls qui sont en vos bonnes
graces. Quant à moy, i’approuue fort la pensée de celuy
qui a dit dans vn Discours funebre pour le grand
Armand que le Phenix en mourant se faisoit vn secõd,
& qu’il n’en estoit pas ainsi d’vn Mecene, de sorte
qu’il estoit plus facile de rencontrer cét oiseau, quoy
qu’il soit vnique, qu’vn protecteur pour les Sçauans.
Mais apres tout ne vous figurez pas, Madame, que ce
soit pour moy seul que ie plaide, i’ay tant de compagnons
par tout qui me font compassion, que c’est ce qui
m’a contraint de faire bruit, & de declamer hautement
contre l’iniustice de cét âge. Ainsi vous deuez croire
qu’vn million de personnes vous parlent par ma bouche,
& vous feriez la plus farouche de toutes les femmes
si vous n’estes sensible à cette plainte. Mais ie me
trompe, vous ne l’auez iamais esté aux cris de tant de
Poëtes, de tant d’Orateurs & de tant de Philosophes
que l’on a veus mourir dans l’hospital.

 



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