Anonyme [1649], L’ENTRETIEN FAMILIER DV ROY, AVEC MONSIEVR LE DVC D’ANIOV SON FRERE, à sainct Germain en Laye. Fidelement recueilly par vn des Officiers de sa Majesté. , françaisRéférence RIM : M0_1241. Cote locale : A_3_52.
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la punition ? Certainement si ie puis vn iour estre absolu, ie leur feray
bien rendre compte de la negligence qu’ils ont témoignée au salut de
l’Estat, & au soulagement du Peuple.

 

Il est vray, répond le Duc d’Anjou, que le Peuple est en vn pitoyable
estat ; n’agueres ie ne me pus tenir de pleurer au recit qu’vn pauure païsan
faisoit au Duc d’Orleans, des maux qu’ils ont soufferts depuis longtemps,
& des violences & cruautez qui ont esté depuis peu de iours
exercées contr’eux par les trouppes Mazarines.

Ie ne puis pas conceuoir, reprit le Roy, quel est le but & la fin de cette
guerre ; & quel pretexte ils prennent pour ruiner le cœur de la France.

Ie leur ay entendu dire, replique le Duc d’Anjou, que c’est pour punir
vos Subjets de leur desobeïssance, & pour maintenir l’authorité Royale.

La puissance des Rois (continüe le Roy) ne s’estend pas jusques aux
choses injustes, & lors qu’ils l’employent à la ruine de leurs Subjets, ils
se rendent indignes de ce nom : Qu’ils disent donc plus veritablement
que c’est pour faire subsister la tyrannie qu’vsurpe injustement cette authorité,
& qui la destruit plustost que de la conseruer ? Est-ce maintenir
l’authorité d’vn Roy que de saccager son Royaume ? ne sçait-on pas que
la puissance des Souuerains consiste dans la richesse de leurs Subjets, &
que la ruine des vns cause la foiblesse des autres ? qu’ils cessent donc de
publier qu’ils combattent pour leur Roy, & qu’ils confessent plustost
qu’ils joignent leurs armes auec ses Ennemis pour la destruction de son
Estat, puis qu’ils exercent contre luy de plus grandes hostilitez que les
Estrangers n’en ont iamais commis ; & qu’abandonnant la Frontiere du
Royaume au commencement de la campagne, ils les conuient de s’emparer
des membres cependant qu’ils en attaquent le chef pour le partager
entr’eux apres s’en estre rendus maistres. Mais ils ne viendront pas à
bout de leurs pretentions, car i’ay sceu que les Parisiens ont vne puissante
armée sur pied, qu’ils ont pour Chef mon Cousin le Prince de Conty,
les Ducs d’Elbeuf, de Longueville, de Beaufort & de Boüillon & plusieur
autres Seigneurs des plus sages & des plus vaillans de la Cour ; que
presque tout le Royaume leur donne les mains, & que tous ensemble ont
resolu de me tirer de celles du Cardinal & de me ramener à Paris pour
remedier aux desordres de l’Estat. Ie voudrois auoir le pouuoir & la liberté
de les aller trouuer, car ie suis tellement asseuré de leur seruice, que
ie ne feindrois point de me remettre entre leurs mains ; mais ie suis icy
gardé de si pres, que ie ne puis sortir du Chasteau sans auoir à mes costez
des confidens du Cardinal. Ie ne suis pas seul dans cette contrainte, &
ie remarque que le Duc d’Orleans mon Oncle, & tous ceux qui sont affectionnez
à mon seruice, sont obseruez d’aussi pres que moy, pour empescher



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