Anonyme [1649], L’ENTRETIEN FAMILIER DV ROY, AVEC MONSIEVR LE DVC D’ANIOV SON FRERE, à sainct Germain en Laye. Fidelement recueilly par vn des Officiers de sa Majesté. , françaisRéférence RIM : M0_1241. Cote locale : A_3_52.
page précédent(e)

page suivant(e)

-- 5 --

qui fut chanté pour la victoire de Lens, i’appris le lendemain que tout
Paris estoit en armes, que chaque chaisne estoit vne forte barricade, &
que chaque barricade estoit vne Ville fortifiée. Quand ie voulus m’informer
de la cause de cette rumeur, l’on me fit à croire que les Parisiens
auoient pris les armes pour se rendre les Maistres du Palais Royal, y
mettre le feu, & faire passer tout ce qui estoit dedans au fil de l’épée. La
difficulté que i’eus à croire cecy, m’obligea de m’en éclaircir plus particulierement ;
alors vn de mes plus fideles seruiteurs m’apprit que le
dessein des Parisiens n’estoit que d’obtenir la liberté de deux Magistrats
que le Cardinal Mazarin auoit fait enleuer au sortir de cette ceremonie ;
& que cette action violente leur auoit fait prendre les armes pour
l’obliger à leur rendre leurs Protecteurs. Cependant vous sçauez quel
desordre ce bruit causa dans le Palais Royal ; & que si les Bourgeois eussent
voulu vser de leur auantage, il leur eût esté bien facile de s’en rendre
Maistres, & de se venger du Cardinal Mazarin, qui sentoit d’estranges
convulsions durant ce temps ; neantmoins le respect qu’ils me
portoient, retint leur iuste fureur, & les fit contenter de la liberté de ces
Senateurs, que le Cardinal fut contraint de leur rendre aussi laschement
qu’il les auoit arrestez. Leur presence calma dans vn moment cette sedition,
& les remerciemens que la Reyne fit en ma presence aux premiers
de la Ville de la fidelité qu’ils auoient témoignée en cette occasion,
me faisoit croire que tout estoit appaisé : mais i’ay bien reconnu depuis
que son ressentiment & celuy du Cardinal n’estoit que dissimulé, à
la sortie que l’on me fit faire sans suite de cette Ville, & au sejour que
nous fismes en ce lieu dans les incommoditez de l’hyuer. Il falut retourner
toutefois à Paris, & retarder leur vengeance jusques à ce que l’occasion
s’en presentast. Pour mieux couurir leur dessein, ils font courir le
bruit que toutes les affaires sont accommodées, lors qu’vne nuict que
toute la Ville est en festin, ie me sens réueiller en sursaut, enleuer du
lict, & me jetter encore tout estourdy dans vn carosse, qui m’emporta
dans les tenebres au trauers des champs, auec beaucoup de froid & d’incommoditez,
sans sçauoir où i’allois, qu’alors que le iour suruenant me
fit voir cette maison. I’auoüe que cette seconde fuite m’estonna grandement,
pource que ie n’en pouuois imaginer de sujet : toutefois me
voyant accompagné du Duc d’Orleans & du Prince de Condé, leur presence
me r’asseura en quelque façon, mais leurs discours ne firent pas
grande impression sur moy ; Ils m’asseuroient que l’on m’auoit sauué des
mains du Parlement, qui auoit complotté auec l’Ennemy de se saisir de
ma personne, & de me mettre entre ses mains. Ie feignis de croire cecy,
mais depuis ce temps i’ay sceu de bonne part que c’est vne fausse & grossiere


page précédent(e)

page suivant(e)