Anonyme [1649], L’ENFER REVOLTÉ, SVR L’ESTRANGE DESORDRE qui y est arriué depuis peu, par les Tyrans & les Fauoris des premiers Siecles. OV PAR VNE MERVEILLEVSE application, toute l’Histoire du temps present se trouue parfaitement bien representée. , françaisRéférence RIM : M0_1218. Cote locale : A_3_53.
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grandeur de ses merites ! Vous voyez bien qu’il ne faut
estre que fauory d’vn Tyran, pour se rendre le plus abominable
de tous les hommes.

 

Loüé soit l’esprit qui vous a sceu conduire en ces basses
fosses, dit Monsieur le Diable : tu scais donc bien
maintenant ce que les Tyrans sçauent pratiquer pour se
satisfaire. Où sont les Fauoris qu’ils ont éleuez au plus
haut faiste des honneurs & des dignitez, qu’ils n’ayent
apres cela pris plaisir de faire choir, au plus profond abysme
de leurs disgraces. Ils leurs laissent quelquesfois succer
tout le sang de leurs subjets, afin de les exprimer
apres pour en tirer toute la substance. S’est-il iamais veu
Fauory, qui n’ait absolument abusé des graces de son
Maistre ? Que ne fit pas Catilina, contre vne Republique
qui l’auoit éleué dans des charges, & dans des honneurs
incroyables ? Ingrat à tant de faueurs qu’il en auoit
receuës, n’extermina-t’il pas tout le Senat ? Ne dissipa-t’il
pas tous les tresors publics, & ne renuersa-t’il pas tous
les affaires ? Que ne fit pas Cinna contre Cesar, à qui
mesme ce Prince auoit sauué la vie ? Vn nombre infiny
de ces sangsuës publiques, n’ont-elles pas fait succomber
les Royaumes plus florissans, & les Monarchies les
mieux establies ? Le moyen d’assouuir vne ambition qui
ne sçauroit iamais estre assouuie ? Le desir d’acquerir des
biens & de l’honneur, est vne passion si extreme & si violente,
qu’il n’est point d’ame si bien reglée, qui luy puisse
resister, & qu’elle ne rende aussi peu raisonnable que sidele.
Ces vautours, ces harpies insatiables, ces desolateurs
des Empires, & ces perturbateurs du repos public,
se nourrissent ils depuis le commencement des siecles,
que de la desolation des Estats, & du sang du
peuple ?

Comme il acheuoit ces dernieres paroles, on entend
vne grande & lamentable confusion de voix qui venoit
d’vn autre costé. A mesme temps on vid paroistre vn venerable
Vieillard, aussi sec & aussi basané, que la mort
Sainct Innocent, lequel s’approchant de Lucifer, luy dit ;
Ie suis ce grand & cet Illustre tant renommé Seneque



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