Anonyme [1652], LETTRE RENDVË AV ROY EN PARTICVLIER, Pour luy representer les dangers ausquels les Princes exposent leurs Estats en poussant à bout la patience de leurs Peuples. Prouué par les Exemples tirez des Histoires Anciennes & Modernes, Estrangeres & Domestiques. , français, latinRéférence RIM : M0_2254. Cote locale : B_2_34.
page précédent(e)

page suivant(e)

-- 17 --

sauue chez vne pauure femme, qui pour tout n’auoit en sa
pauure caze qu’vne petite salette, & au dessus vn plancher
auquel on montoit par vne eschelle coulisse. Le Comte
grimpe en cette chambrette ; la femme le cache dans la paille
du lict, où couchoient ses petits enfans, & estant descenduë,
oste son eschelle. Les Gantois ayans rodé par tout à la
queste du Comte, furetans aux moindres maisons l’vne
apres l’autre : arriuerent à celle-là où estoit le Comte, la
foüillent, montans au lieu où il estoit caché : en cét effroy,
qui eut pû lire au cœur de ce pauure Prince, n’eut-il pas leu
que sa conscience le tançoit de n’auoir pas traitté ses sujets
auec plus de douceur ? L’ayant échapé si belle, il se glisse
doucement de cette logette, & se tire hors de la ville tout
seul, à pied, se sauuant de buisson en buisson, de fossé en
fossé, craignant les passans ; comme voicy que s’estant caché
dans vn fossé, il reconnut vn sien domestique, qui le fit
monter sur son cheual en crouppe, & en cét arroy le sauua
à l’Isle.

 

Voila, Sire, ce qui est arriué à ce Comte de Flandres pour
auoir voulu punir ses sujets auec trop de rigueur ; voila comme
se sont comportez les Gantois : quoy que gens nourris
dans le commerce ; voila, enfin, comme les affaires sont venuës
à vne extremité, faute d’auoir preferé la misericorde à
la seuerité. Ce qui doit bien en seigner aux Princes de ne se
pas aisément engager dans ses sortes de guerres ciuiles, &
que s’y estans engagez par quelque necessité pressante, ils
doiuent chercher tous les moyens possibles pour s’en dégager,
& donner ou accepter tous les honnestes conditions
qui se peuuent presenter pour en sortir. Car comme nous
venons de voir, quelquesfois les Princes qui refusent des
conditions honnestes & raisonnables, pour l’esperance
qu’ils ont en leurs grandes forces, s’en trouuent mal puis
apres ; Et souuent on a veu de bien petites troupes faire teste
aux plus puissantes armées des plus grands Princes. Du
temps de la bataille de Poictiers, où le Roy Iean fut pris, le



page précédent(e)

page suivant(e)