Anonyme [1652], LETTRE RENDVË AV ROY EN PARTICVLIER, Pour luy representer les dangers ausquels les Princes exposent leurs Estats en poussant à bout la patience de leurs Peuples. Prouué par les Exemples tirez des Histoires Anciennes & Modernes, Estrangeres & Domestiques. , français, latinRéférence RIM : M0_2254. Cote locale : B_2_34.
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sauue chez vne pauure femme, qui pour tout n’auoit en sa
pauure caze qu’vne petite salette, & au dessus vn plancher
auquel on montoit par vne eschelle coulisse. Le Comte
grimpe en cette chambrette ; la femme le cache dans la paille
du lict, où couchoient ses petits enfans, & estant descenduë,
oste son eschelle. Les Gantois ayans rodé par tout à la
queste du Comte, furetans aux moindres maisons l’vne
apres l’autre : arriuerent à celle-là où estoit le Comte, la
foüillent, montans au lieu où il estoit caché : en cét effroy,
qui eut pû lire au cœur de ce pauure Prince, n’eut-il pas leu
que sa conscience le tançoit de n’auoir pas traitté ses sujets
auec plus de douceur ? L’ayant échapé si belle, il se glisse
doucement de cette logette, & se tire hors de la ville tout
seul, à pied, se sauuant de buisson en buisson, de fossé en
fossé, craignant les passans ; comme voicy que s’estant caché
dans vn fossé, il reconnut vn sien domestique, qui le fit
monter sur son cheual en crouppe, & en cét arroy le sauua
à l’Isle.
Voila, Sire, ce qui est arriué à ce Comte de Flandres pour
auoir voulu punir ses sujets auec trop de rigueur ; voila comme
se sont comportez les Gantois : quoy que gens nourris
dans le commerce ; voila, enfin, comme les affaires sont venuës
à vne extremité, faute d’auoir preferé la misericorde à
la seuerité. Ce qui doit bien en seigner aux Princes de ne se
pas aisément engager dans ses sortes de guerres ciuiles, &
que s’y estans engagez par quelque necessité pressante, ils
doiuent chercher tous les moyens possibles pour s’en dégager,
& donner ou accepter tous les honnestes conditions
qui se peuuent presenter pour en sortir. Car comme nous
venons de voir, quelquesfois les Princes qui refusent des
conditions honnestes & raisonnables, pour l’esperance
qu’ils ont en leurs grandes forces, s’en trouuent mal puis
apres ; Et souuent on a veu de bien petites troupes faire teste
aux plus puissantes armées des plus grands Princes. Du
temps de la bataille de Poictiers, où le Roy Iean fut pris, le
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